Jeanne Maillet ou "la traversée du pont"
Lorsque je fus enseignante à Saint-Pol-sur-Ternoise (ville de naissance de mon père), je fus amenée à connaître Jeanne Maillet qui dirigeait "Le cercle poétique du Ternois" et qui était Rosati également.
Vivant à Stella, la poétesse a une importante publication à son actif et détient à son palmarès de nombreux prix dont celui d'Amélie Murat pour "Chants magnétiques" 1986.
J'avais eu l' occasion en 1984 de faire une présentation de quelques uns de ses recueils à l' association "Arts et Jalons" à Paris et je vais donc reprendre quelques passages de cette intervention (l' œuvre étant trop vaste pour que je site toutes les parutions, je n'en citerai qu'une partie).
Nous touchons dans "Les Palaces d' Envergure"s 1978 aux songes, au monde de l'imperceptible où la finesse du poète fait entrevoir les chocs entre le silence et le fracas des métaux et nous passons de la translucidité à la couleur éclatante avec la facilité du flux et du reflux des vagues.
Chants Obliques suivis de Dorures
1979 offre des alexandrins et des octosyllabes tandis que Traversières 1981 présente une forme libérée. Dans le poème "Je veux être du lieu", le mouvement est lent, chargé du poids du temps.
Royaumes suivis de Pleines Terres
1981 nous emmène en une lente ascension vers les infinis sidéraux et l'amour universel. De ces Royaumes sur le seuil desquels Jeanne se situe et nous fait signe, que se passe-t-il ? La terre change-t-elle tout à coup d'inclinaison ? Quelle magie va-t-il se produire devant nos regards ? Là est l'ouverture indicible que le vrai poète sait créer.
Passacailles
Prix le Borée 1982 nous relie à la musique traditionnelle de la versification. Nous rebaignons avec plaisir dans l' atmosphère ancienne que Jeanne sait si bien évoquer dans les ballades. Ici le vers est svelte, allègre, mutin. Le poète s' amuse et nous éclaire de sa fête de fleurs et de masques.
Arches suivi de Alliances
1983 nous redonne l'envolée lyrique de Royaumes avec une recherche précise de mots. Le recueil crée des ouvertures, des brèches, des déchirures, des décalages pleins de surprise tendant vers une grandeur, une hauteur à laquelle on ne peut résister.
Les Foulées de Verre suivies de Clarines
1995 est un ensemble de poèmes en prose dont voici un exemple :
SOUS LA NEIGE, CE PETIT PONT
"Sous la neige, ce petit pont... Pour te rejoindre, mes pas s'envolent comme des fleurs qui chanteraient. Dans un kiosque, tout près, tes doigts ont allumé la veilleuse des fêtes.
Enferme-moi dans cette lumière, un court instant. Puis repartons pour d'autres noces où la nuit blanchirait davantage l' immaculée splendeur qui brûle le Temps".
Dans les derniers recueils de l'auteur, je vais vous présenter quelques textes qui ont appelé mon attention :
SENTIER
dans "Hors du champ du jour" (2000)
"Sur le sentier, un mulet.
Sur son dos, un sac de prières.
L' air est ivre de menthe.
Nous marchons à côté
dans la même fraîcheur.
L'animal, très doux,
ne risque rien d'une faiblesse.
Quand nous flattons son col,
il ne frémit pas
Simplement, il redouble de vigilance
et son regard intérieur
nous accompagne jusqu'à la frange de ses cils".
BASTIDE
(Moustier) dans "Terre cueillie" (2001)
"Je vous écris d'une Bastide
sous une étoile
tombée droite du ciel.
Je vous écris d' un champ clos de silence
l' âme et le corps en paix
parce que là où la Terre
rejoint le vœu des hommes
il n'y a plus de place
que pour la très fine joie
celle qui fait, des amis de passage,
les seigneurs d'un instant
et d'un Lieu..."
DONNEZ-MOI
dans "Suite pour un Mage" (2005)
"Donnez-moi
la douce respiration qui rassure,
les audaces du vent,
le message haut serré
d'une possible lumière.
Donnez-moi la justice du matin
quand la rosée fait son devoir
et qu'un brin d'herbe nous étonne
Parce qu'il aura tranché vif
entre l'inutile et le nécessaire".
Si j'ai pris ces extraits ; c'est pour les mots pleins de délicatesse, pour la sûreté de leur auteur, leur charme et leur côté foudroyant en même temps, pour cet éclairage soudain que l'on a parfois sur les choses quand le détail illumine l'œil.
Et puis, on retrouve aussi dans l'écriture de Jeanne Maillet, les étoiles, l'attente mystique, l'écoute des présences mystérieuses et ces visites qui se passent sur un autre plan ; comme celles des anges. D'autres mots-clefs appellent aussi notre attention comme : or, vaisseau, silence, bleu, main, regard, lieu, cathédrale.
Le champ de Jeanne Maillet va du profond de la pierre en passant par l'homme pour s'élever vers les hauteurs spirituelles et intemporelles. Par ces mots, nous assistons à une lente métamorphose qui capte et émeut profondément.
Ce qui retient le lecteur, c'est le raffinement, la savante juxtaposition des mots, créant toujours surprise et enchantement. Une extraordinaire "brisure" se fait dans le monde tangible pour nous donner des éclairs sur un monde éthéré en nous donnant le goût de la pensée mystique élaborée et percutante.
D'autre part voici une pensée que la poétesse émet sur la poésie dans une revue "a-muse-oeil" d’Étienne Parize. La poésie "C'est l'envers du décor, c'est la parole glissée de "balcon à balcon", c'est cet Ineffable, cet Essentiel, cette Nécessité, si difficiles à percevoir qu'ils ne passent la triple pellicule de l'oreille, des yeux et du cœur qu' après des filtrages et des filtrages imposés par la rude école de vivre."
Jeanne écrit aussi depuis quelques années des contes pour enfants : "Contes pour Marine"
Pour finir, je reviendrai sur l'image du "pont" qui se présente à distances égales dans l'œuvre de la poétesse ; comme si une fois passé ce pont qui nous mène du concret à l' abstrait, de la réalité au rêve, on arrivait dans une zone particulière, un lieu à découvrir dans un cheminement de clarté où les voiles se tirent peu à peu, les uns après les autres pour dégager une conscience plus affinée et pour notre plus grand bonheur aussi.
J'ajouterai que Jeanne Maillet représente à la fois l'âme compréhensive dans les nuances, l'ouverture de l' âme et de l'esprit, la délicatesse des idées, leur vigueur aussi. Elle est le poète qui emploie chaque mot à sa juste place et dans son juste sens, consciente des "brisures " magiques qu'ils peuvent créer, mais qui en reste modeste, car elle connaît la vraie valeur des choses.