Manitas de Plata
Tout commença lorsqu'un jour à Arras, mon père rentra à la maison en s'exclamant avec enthousiasme :
- Vous ne savez pas qui j'ai rencontré ?
- Non ! Qui ?
- Manitas de Plata.
- Où ça ? Dans la rue ?
- Oui, je l'ai reconnu et je lui ai demandé s'il était le grand guitariste.
- Et il t'a répondu ?
- Oui, mais je n'avais rien à lui présenter pour qu'il me mette un autographe, cependant il a bien voulu signer au dos de cette feuille d'agenda.
- Montre.
Il sortit de son porte-feuille un petit papier à rayures sur lequel on pouvait bien lire en toutes lettres majuscules « MANITAS».
Chez nous, on écoutait les disques du célèbre musicien et moi-même me souviens avoir écouté en boucle le morceau intitulé « Galop de Camargue ». J'entendais et je voyais les chevaux blancs éclaboussant l'espace des marais. Au fur et à mesure que les sons de la guitare de Manitas m'envahissaient, les Camarguais traversaient mon regard au galop tandis que les accords m'accaparaient pour me relier déjà à un peuple que j'allais connaître davantage par la suite.
C'est maintenant que je découvre l’intérêt qu'avait mon père pour Manitas, venant de retrouver dans ses archives un morceau de revue avec des photos de Gitans de Tarascon. Chose étonnante : c'est que tout en bas de la page on peut lire « 1950 » écrit de sa main et c'est justement l'année de ma naissance.
J'ai trouvé par ailleurs une carte postale en noir et blanc datant de 1959 qui fut envoyée à ma grand-mère maternelle. L'image représente la crypte de l'église des Saintes-Maries-de-la-Mer
et au dos, on peut lire les explications des rituels faits en hommage à Sara-la-Kali, patronne des Gitans.
Se trouvait également une lettre de la Communauté Mondiale Gitane ; elle fut adressée à mon père en 1965 lui demandant s'il voulait bien faire un don d'une de ses œuvres à la Communauté.
Vu l'intérêt qu'il avait envers la Communauté gitane en général, je pense qu'il a dû le faire mais je n'ai pas de trace concernant la suite. Ce que je remarque surtout c'est que ces pièces avaient été gardées très précieusement comme un témoignage, ayant leur importance ; aussi je les regarde avec respect et j'y vois comme des clins d’œil dans le temps.
Je ne sais plus à quelle date précise j'ai rencontré Manitas pour la première fois ; le programme que j'ai gardé soigneusement ne le dit pas ; c'était au théâtre d'Arras et je me souviens que j'avais littéralement été enchantée.
On voit ici que le virtuose s'était amusé à dessiner un serpentin qui faisait toute la hauteur de la page, histoire de rire ; ce qu'il faisait facilement.
Puis je suis allée faire mes études à Madrid. Le « hasard » a fait que la dame qui me logeait se trouvait à Vallecas, soit le quartier gitan. De la fenêtre de ma chambre je voyais les petites maisons blanches et il me suffisait de descendre pour aller me promener dans les rues et regarder les enfants courir à deux pas, laissant leurs petites guitares en jouet posées sur les seuils.
J'ai lu alors sur leurs coutumes, les côtoyant, me faisant des amis parmi eux, apprenant aussi leurs danses. Et j'ai commencé à écrire une histoire que j'avais appelée « Dans l'ombre d'or de Sara la noire ». C'est en 1989 que j'ai envoyé mon roman à Manitas de Plata en le lui dédiant. Quelques temps après Bernard Biglione me répondit de cette façon touchante.
et il avait ajouté des paroles que Manitas lui avait dictées ainsi qu'une phrase poétique venant de lui.
Ces pages se trouvent dans la première version du roman « Les voyageurs au sang d'or » édité par le Foyer Culturel de l'Houtland.
C'est le 17 mars 1996 que j'eus l'occasion inespérée de remettre le livre en main propre à Manitas alors que le livre venait de sortir et que le guitariste passait justement à ce moment-là dans le Nord de la France au « Brasero de Reyes » à Aubencheul-au-Bac, pas loin d'Arras (coïncidence que mon père n'arrivait pas à croire).
Du nord de la France, j'ai ensuite été mutée à Nîmes, ce qui m'a donné l’occasion d'aller plusieurs fois au pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer. J'y ai participé avec bonheur et c'est ainsi qu'une fois je croisai Manitas qui traversait la place devant l'église ; je l'ai salué avec grand plaisir et comme j'avais dans mon sac l'ancienne photo prise avec lui dans le Nord, je l'ai sortie et lui ai montrée. Le retrouver là, au milieu des siens fut un moment de joie.
En 1999, toujours aux Saintes, j'ai parlé avec l'organisateur du site Balval avec qui j'ai eu des échanges fort sympathiques et qui m'a fait l'honneur de parler de mon livre sur son site français consacré à la culture des Roms.
Site Balval : Clic !
J'assistai par ailleurs à Nîmes à un autre spectacle du célèbre guitariste entouré des siens lors d'une soirée aux arènes.
Peu après, j'ai acheté un petit appartement dont le balcon plein sud avait attiré toute mon attention en le voyant à la vitrine d'une agence. Ce n'est que par la suite que j'appris que mes voisines immédiates étaient de la famille directe de Manitas. J'étais à nouveau dans le quartier gitan.
C'est en 2010 que je fis la connaissance de Stéphanie Lahana intéressée par la cause du peuple rom et qui devint mon éditrice puisqu'elle créa sa Maison d’Édition avec ce premier titre et nous allâmes ensemble au pèlerinage du 24 mai où je rencontrai une énième fois Manitas à qui je remis une nouvelle fois le roman flambant neuf. Ce fut alors une série de photos, les unes plus belles les unes que les autres dans le soleil et les sourires.
Crédit photos Les Éditions du Puits de Roulle
En mars 2011, j'ai eu la joie et le bel honneur d'assister à la mise en espace de mon livre « Les voyageurs au sang d'or » à Arras lors d'un spectacle appelé « Gitans », grâce notamment aux Rosati et aux autres associations locales très investies dans le projet ; évidemment le musicien ne fut pas oublié dans le parcours.
Crédit photo Jocelyne Ric
Et toujours en relation avec le peuple gitan (tout est lié) j'eus l'opportunité de converser à Barcelone avec Juan de Dios-Ramirez-Heredia.
Le temps passe pour les uns et les autres et j'eus l'occasion d'apercevoir une dernière fois «Les petites mains d'argent ou de fée » lors d'un voyage que je fis aux Saintes dans le cadre d'une semaine organisée par la Maison de l'Europe de Nîmes sur le thème «Culture européenne, culture gitane».
Il faisait froid, ce qui est inhabituel en cette saison. A un moment je me suis trouvée hors des barrières ; Manitas dans son fauteuil roulant, était à quelques mètres devant moi, perdu dans ses pensées, mais je ne voulus pas le déranger. Je suis restée à le regarder avec reconnaissance. Et tout-à-coup les chevaux des gardians (les magnifiques Camarguais du disque de mon enfance) sont arrivés à toute allure et Manitas fut vite mis à l'abri ; il me fallut passer rapidement au-delà de la barricade. Ce fut la dernière fois que je le vis.
Mais je veux garder en souvenir cette image de lumière et de fleurs propre au pèlerinage des Saintes, pèlerinage qui lui était très cher et qu'il ne manquait jamais, toujours parmi les siens, jouant de la guitare ou simplement conversant devant le parvis de l'église. Merci à lui.
« Te yaven sasti i baxtali. Yachen Devlesa.
Sois en bonne santé. Reste avec le petit Dieu. »
"Une mosaïque de photos et de souvenirs autour du guitarise Manitas grâce à Hommage au plus grand gitan manitas de plata en les remerciant de ce partage autour de mon livre ; un vrai feu d'artifice de bonheur."
Le 5 avril 2015, devant les Halles de Nîmes, j'eus le plaisir de rencontrer Fabricio de Plata avec son groupe " COMPAS Olé"
Fabricio de Plata est le petit fils de Manitas de Plata, aussi ce fut un grand moment lorsque je lui ai fait la surprise de lui remettre le livre dédié à son grand-père.
Sa femme, Isabelle Robert, m'a accueillie avec cœur et ce fut un instant d'émotion réciproque et authentique.
Puis, elle m'a offert le CD du groupe et c'est ainsi que nous avons souri à Stéphanie Lahana pour immortaliser cette lumineuse rencontre en présentant nos échanges. L'esprit de Manitas était certainement présent ; d'ailleurs la petite fille portait un vêtement sur lequel était dessiné en grand M (M de Manitas), que Fabricio me signala, disant avec bonheur qu'il y voyait là un signe.
Avant que je parte, Fabricio de Plata, accompagné de son fils fils Nico et de son cousin Pissou, a lancé l'hommage à Manitas et a joué le fameux morceau de musique "Galop de Camargue" dont j'ai parlé précédemment. Ce fut une grande joie pour moi car en cette minute, tout se reliait en une signature, un lien se faisait dans le temps et l'espace, et j'emboitais le pas d'une rumba gitana en pensant au Grand Maître Manitas qui brillait au cœur de cette belle rencontre, montrant ainsi que tout se continuait.
D'ailleurs Isabelle disait : "De la mort, naît la vie", et c'est ce qui s'est passé en cette heure-là, particulièrement bénie. Au printemps, les fleurs renaissent toujours, comme les chants, les sourires et les accents de guitare.
Merci à Stéphanie Lahana pour ses photos.