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Dialogue lointain

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C'est le chant du matin ; le lotus bleu commence à s’ouvrir. Dans les marais, les papyrus tremblent et la clarté naissance effleure le temple d’eau parcouru peu à peu de friselis de lumière.

      Le myste se dirige à pas lents vers la porte d’entrée ; il tient à la main une croix ankh vernissée bleue. Après être passé sous le disque ailé, il s’immisce entre les blancs cobras dressés, gardant l’accès.

     Une odeur d’encens emplit l’espace du sanctuaire. L’homme se dirige vers le sage assis dans un rayon solaire ; celui-ci ne bouge pas, son visage est paisible et chacune de ses mains serre un bâton d’Horus dont les parties externes sont gravées de signes.

     Le myste s’arrête puis s’incline.

  •  Approche, dit le sage.

  • Le vent s’est levé ce matin, je suis venu à votre demande. Après je prendrai la felouque pour remonter le Nil, comme convenu.

  • Hâpy te protègera. L’air en ce jour est porteur de force… Entends-tu la musique ?

  • Oui, je perçois les sons des harpes et des lyres qui vont circulant.

  • Ces instruments sont messagers d’harmonie et je les ai écoutés en contemplant Orion cette nuit ; une brise légère venait en ondoyant.Il y a quelques heures ; la constellation était juste devant mon regard, resplendissante, accaparant tout mon être.

  • Certes, je l’ai regardée aussi à travers mon sommeil et j’ai été pris d’une indicible contemplation.

  • Qui ne le serait pas !

     La musique s’est arrêtée ; le silence est vaste, embaumé, doré. On entend comme des chuchotements ; les musiciens peut-être ou des prêtres !

  • Viens avec moi, reprend le hiérophante.

  • Je vous suis, maître.

  • Nous allons dans la chambre cachée, là je te remettrai un cartouche particulier qui porte un nom secret.

  • Je me sens honoré ; que devrai-je faire ?

  • Au bout de ton voyage sur le fleuve, tu l’apposeras sur la stèle anépigraphe située à l’entrée d’un mastaba que nous vénérons. C’est là ta mission.

     La salle qu’ils traversent est sombre, éclairée pourtant par un damier dans le plafond. Les hommes marchent l’un derrière l’autre et leurs pas ne font pas de bruit.

  • D’abord vénérons Ra Atoum, dit le sage.

  • Je peux psalmodier ?

  • Oui, voici également un sistre qui appartenait à la princesse.

  • Je suis gratitude.

  • Honorons celui qui unit les deux terres. Tu vois comme sa radiance traverse les espaces ?

  • Certes. Je ressens même l’Akhesa, la Source.

     Une étrange mélodie résonne, comme venant d’ailleurs, dont les sons prennent les couloirs des songes où vogue l’âme. En pensée, ils cheminent et s’approchent d’un groupe de prêtres situés autour d’un triangle. Ces derniers prient ; le feu s’élève de coupes situées devant chacun. Les neuf prêtres fixent le centre de la figure où se trouve un œil d’Horus, toute leur attention est dirigée vers ce point duquel le voyageur semble voir sortir un museau, semblable à celui d’une gazelle. Il sait que c’est l’animal sacré qui vit aux sources du Nil et que, par lui, la déesse Anoukis symbolise une naissance, un accouchement. Les prêtres attendent la paix et toute leur énergie est dirigée vers le bovidé qui n’en finit pas de naître. L’homme en a les larmes aux yeux.

  • Tes larmes coulent dit le hiérophante.

  • J’ai vu les prêtres qui attendent la paix et celle-ci ne vient pas.

  • Nous sommes des millions à attendre la paix. Le temps n’existe pas, tout est lié. Tu sais bien que nous sommes au moment de cette réalisation tant attendue.

  • Oui, répond-il dans un soupir.

  • Tu es entré dans un songe ; reviens lentement ici.

  • Je perçois maintenant une pyramide d’énergie qui s’élève au fur et à mesure, peu à peu, lors de la remontée dans le temps.

  • Reviens… reste dans le cœur. Es-tu rassuré ? As-tu conscience que tout est en place pour que cela soit ?

  • Oui.

  • Maintenant, suis-moi.

     Les deux hommes vont dans une autre partie de la pièce où il y a un coffre en bois couvert d’or. Le hiérophante soulève le couvercle sur lequel est gravée une fleur de vie. A l’intérieur, il y a des morceaux de cinabre, des djeds et d’autres objets sacrés. Parmi eux il tire une pierre plate.

  • Voilà le cartouche, dit-il en passant doucement la main dessus.

  • Il est entouré de scarabées, remarque l’homme.

  • La princesse les vénérait.

  • C’est donc le cartouche à son nom ?

  • Oui ; c’est celui de Tia dont le souffle s’est envolé il y a longtemps. Maintenant, cette inscription doit être où elle demeure.

  • Bien. Je la mettrai selon votre volonté.

     Le sage enveloppe le cartouche d’un voile de lin « la lumière de lune tissée » et le remet au voyageur.

     La musique diminue, le myste salue pour prendre congé, tenant dans les paumes de ses mains la précieuse pierre, lourde et froide.

  • A bientôt… Tu me conteras à ton retour… Bon voyage avec la felouque, profite du vent, dit le hiérophante.

  • Je reviendrai et vous rendrai compte avant la montée des eaux. Dois-je vous ramener quelque chose de là-bas ?

  • A côté du mastaba pousse un sycomore, rapporte-m’ en une branche.

  • Je n’y manquerai pas.

  • Je t’attendrai. Va maintenant car tu dois arriver avant la tombée de la nuit.

 

     Un nuage de poussière se lève, doux et lumineux avec des saveurs de menthe et de miel. Le sablier du temps apparaît, deux pyramides, pointe contre pointe se dessinent. Celle du dessus s’estompe et celle du bas monte, vaporeuse et vibrante.

     Maintenant, c’est le chant du soir ; le lotus bleu se referme. Sur la voûte stellaire, Orion est en chemin

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