
D’Étoile en étoile

Sur la route bordée de platanes près de Saint Rémy de Provence, Hermance se promenait ; alors qu’il n’y avait pas de maisons, elle remarqua un magasin de brocante et entra. Elle contourna de vieilles commodes, des chaises couvertes de velours, puis s’approcha d’une table sur laquelle étaient posés des oiseaux empaillés et des têtes taillées dans de la pierre. Elle frôla ensuite des plumes de paon et d’autruche, joua à faire résonner une clochette dont elle trouva le timbre léger et fut intriguée par une forme étrange qui était en cristal de quartz fumé ; elle prit l’objet et le souleva ; il était assez lourd et un visage se dessinait à la surface, le contact avec la matière était très doux ; elle ferma les yeux pour mieux le ressentir et perçut quelque chose au niveau du cœur, comme une ouverture, une dilatation ; c’était un sentiment d’amour très fort qui se répandait en elle. Surprise, elle le reposa, continua l’exploration de la boutique, inspecta de vieilles tasses anglaises, s’arrêta devant des aquarelles aux paysages diffus, contourna un piano aux touches jaunies… mais, elle repensait toujours à cet objet un peu extraordinaire qu’elle avait pris dans ses mains quelques instants plus tôt. Elle revint donc vers lui et le ressaisit ; une attraction se faisait de plus en plus présente, de telle sorte qu’elle alla vers le propriétaire qui restait assis derrière une grande table dont les pieds en forme de pattes étaient sculptés.
-
Excusez-moi, quel est cet objet ?
-
Ah ! c’est une très belle pièce, le travail est magnifique.
-
Oui, mais à quoi sert-il ?
-
Il ne sert à rien,… enfin, si l’on peut dire… il est amour.
-
Oh ! et d’où vient-il ?
-
Du Brésil ; il a même un nom qui est Alzaïr.
-
Ce qui veut dire ? demanda la visiteuse de plus en plus intriguée.
-
Tolérance, compréhension, puissance aussi… remarquez que des irisations apparaissent sur la partie haute ; mais tout dépend de votre orientation par rapport à la source de lumière.
-
C’est magnifique ; vous le vendez ?
-
Comme le reste, le prix est en dessous.
-
Je le prends, dit-elle, après avoir retourné la pièce.
Le vendeur saisit l’objet et l’enveloppa d’une feuille de journal sur laquelle elle put lire « Aldébaran »
-
Et qu’est ce papier dans lequel vous l’emballez ? demanda Hermance qui observait tout dans le détail.
-
Ce sont les tables d’Aldébaran.
-
Les tables d’Aldébaran ? c’est vraiment spécial ! pouvez-vous m’en dire plus ?
-
J’ai mis cet imprimé avec intention, il vous faut investiguer ; le nom veut dire « le suiveur », mais cette étoile a pourtant d’autres noms encore…
-
Toutcela en même temps ! c’est bien mystérieux. Mais comme je suis curieuse, je vais chercher.
L’homme sourit, il aimait créer des énigmes ; et là, il pensait qu’il avait atteint son but.
Une fois entrée chez elle, Hermance se mit à admirer la pièce achetée, heureuse de son achat, et jeta à nouveau un œil sur le papier d’emballage ; elle voulait en savoir plus.
Il existait bien les tables de la loi, la table d’émeraude, les tables de multiplications, les tables d’Alphonsine (livre du savoir astronomique), les tables des directions (liées aux positionnements des planètes). Mais là, elle pensait à une porte particulière qui donnerait accès à un monde parallèle régnant dans les étoiles et qui symboliserait la spiritualité. Il lui fallait peut-être trouver la légende s’y rapportant.
Sa première démarche fut d’aller à la bibliothèque dans laquelle elle put consulter des volumes et lire que cette géante rouge se situe dans l’œil gauche de la constellation du Taureau se trouvant dans l’amas des Hyades. Cette étoile était connue depuis des lustres puisque les Babyloniens attendaient son apparition avant de prendre une décision importante.
Laissant les livres, elle parcourut du regard la salle et vit dans un coin de la bibliothèque un homme assis à une table, un atlas ouvert devant lui et qui semblait réfléchir ; Hermance pensa alors qu’il pourrait peut-être l’aider dans sa quête.
-
Bonjour monsieur, excusez-moi, est-ce que je peux vous demander quelque chose ?
-
Oui, bonjour, c’est à quel sujet ? dit-il comme revenant à la réalité de l’instant.
-
Je fais des recherches sur l’étoile Aldébaran, et à tout hasard, je me permets de vous déranger.
-
Voilà qui est passionnant ; c’est l’étoile des étoiles, mais asseyez-vous, dit-il à voix basse, elle ouvre une quantité de portes plus merveilleuses les unes que les autres et la lumière est son élément principal, c’est même une étoile-guide, dirais-je. Elle est l’étoile des tablettes.
-
L’étoile des tablettes ? reprit Hermance surprise et ravie.
-
Oui, à cause de l’importance qu’elle avait dans les calendriers primitifs… Mais la bibliothèque va bientôt fermer. Si vous le désirez, je pourrais vous en dire plus en venant visiter avec moi « Le jardin de l’alchimiste » qui se trouve près d’Eygalières.
-
Oh oui ! très bien, cela me semble être une bonne idée.
-
Alors, à midi demain devant l’entrée du parc, cela vous va ? Je m’appelle Thibaut, et vous ?
-
Hermance.
En rentrant, elle changea Alzaïr de place pour que son faisceau de lumière ressorte davantage, et le lendemain la jeune femme se rendit à la grille de cet étonnant jardin devant lequel Thibaut l’attendait. Des l’entrée, des écriteaux indiquaient le pourquoi de cette promenade, avec toute la symbolique expliquée, ainsi elle put lire l’histoire des sorciers de Provence, connaisseurs en plantes, et qui utilisaient le romarin et les simples pour soigner.
-
D’abord nous avons l’œuvre au noir, expliqua Thibaut ; voyez les dalles de schiste sur le sol ; les graviers sont sombres et les plantes rappellent la couleur de l’obscurité. Et voici une vasque de forme carrée ; c’est la fontaine de la connaissance.
-
En effet, c’est assez étrange, mais je ne me sens pas très à l’aise.
-
Vous vous sentirez encore moins bien dans le labyrinthe dominé par Saturne.
Là, ils se perdirent un peu dans l’entrelacs, puis ressortirent soulagés de l’espace assez pesant.
-
Maintenant passons dans le deuxième tableau qui est l’œuvre au blanc, là où Mercure est souverain.
Ils franchirent un pont et admirèrent des tentures blanches qui volaient ; les fleurs étaient de la même couleur, comme les lys et les roses, tandis que le sol faisait apparaître des plaques de marbre aux lueurs d’albâtre.
-
Voyez, cette fontaine ; elle est ronde comme la lune.
-
C’est déjà plus serein, remarqua Hermance, esquissant un sourire heureux.
-
En effet, mais il nous reste l’œuvre au rouge.
Continuant le circuit, ils passèrent alors une haie de lauriers, et ce fut un flamboiement ; des géraniums dans des pots de terre cuite abondaient en ployant sur leurs tiges, des roses rouges frémissaient et embaumaient, et des grenadiers chargés de fruits ouvraient dans la couleur de leur ton chaud l’espace à une nouvelle fontaine.
-
C’est une étoile ! s’exclama Hermance, on voit le soleil qui s’y reflète.
-
Oui, sa forme est un hexagone qui marque la complémentarité de l’esprit et de la matière. Prenez conscience que notre cheminement est arrivé à l’aboutissement de la quête. Et je vais vous dire : c’est une étoile source comme celle d’Aldébaran, car il est nécessaire de rester en lien avec la lumière.
-
Je comprends… Je vois des lueurs dorées sur les branches. Que c’est joli ! s’exclama-t-elle en ouvrant grand les yeux.
-
Vous avez parcouru tout le périple initiatique.
-
Je vous remercie ; c’est vraiment un théâtre ce jardin.
-
Je suis heureux… Pour continuer la quête, je vous conseille d’aller visiter la maison de Nostradamus à Salon de Provence, car vous aurez d’autres éléments.
Hermance revint chez elle, pensive, s’assit en prenant la pierre au visage énigmatique, et se mit à la caresser tout en songeant. Thibaut permettait en effet une nouvelle étape dans son questionnement, et il lui fallait écouter son conseil ; elle décida donc d’aller se rendre à la maison de Nostradamus.
En arrivant à Salon de Provence, elle fut surprise de se trouver sur la Place des étoiles ; de là elle se perdit dans un quartier étonnant où elle lut sur une pancarte : Rue de la voie lactée, puis celle de la rue Sirius, de la Grande Ourse, de la rue Altaïr (ce qui lui fit penser à Alzaïr). Elle décida de prendre la rue de Cassiopée pour déboucher dans la rue d’Aldébaran qui en fait, tournait littéralement autour d’un regroupement de maisons. Cela l’amusa beaucoup, comme s’il y avait un jeu de piste. Et elle marcha encore un bon moment pour arriver enfin devant la maison recherchée.
Dès l’entrée, le personnage de cire, assis derrière sa table, l’interpella déjà ; autour de lui reposaient des parchemins, une sphère armillaire et un bougeoir. Elle s’arrêta pour le considérer ; l’homme était une notoriété de l’époque, médecin, philosophe, astrophile, et tant d’autres fonctions encore… C’était un être d’une nature exceptionnelle qui cultivait aussi les simples dans son jardin. Cet homme hors du commun, tout en transmettant des savoirs, était un véritable visionnaire.
La jeune femme s’éloigna de la mise en scène particulièrement prenante et se mit à parcourir les salles dans lesquelles des moments de vie inspirants étaient représentés. Peu à peu Hermance pénétrait dans un monde hors du temps qui la faisait rêver. Elle acheta un fascicule dans lequel étaient mentionnés des éléments intéressants comme l’astrolabe que Nostradamus utilisait, le nom des étoiles dans la constellation d’Orion qui correspondaient aux Rois Mages, et elles-mêmes situées dans le baudrier. Il était mentionné que les quatre étoiles fixes qui gouvernaient notre vie étaient les « étoiles royales » : ainsi Aldébaran de la constellation du taureau était la gardienne de l’est, Rigel de la constellation d’Orion était la gardienne du nord, Antares de la constellation du scorpion était la gardienne de l’ouest et Fomalhaut du poisson austral était la gardienne du sud.
-
Hum… se dit-elle à elle-même, les indices sont bien en place.
Elle lut :
« Pèlerin de la lumière, le passant qui t’interpelle vient des rives du futur.. »
Avant d’aller dormir, elle se parla à elle-même tout en fixant Alzaïr ; les découvertes se suivaient ; il ne lui manquait plus que d’aller à la recherche d’une troisième étoile ; et en replaçant l’objet, elle fit tomber une carte postale : celle des Baux de Provence.
La légende raconte que les seigneurs des Baux pourraient descendre du roi mage Balthazar qui décida de suivre la prodigieuse étoile en revenant de son périple après s’être rendu au pied de l’enfant divin ; de ce fait, il serait arrivé sur ce bau de Provence où il aurait même amené les herbes ; et la fameuse devise était née « au hasard Balthazar »
Sur une image, une étoile éblouissante à seize rais couvrait le blason de la prodigieuse cité placée hors du temps, régnant sur un environnement magique.
Hermance prit Alzaïr avec elle, et se rendit sur le promontoire ; elle traversa un jardin de simples d’où sortaient de petites ardoises sur lesquelles elle put lire : coriandre, romarin, marjolaine, myrte, origan, sauge de Provence et sarriette de montagne. Plus loin apparaissait la petite église comme nichée au sein du village ; elle était ouverte et un rai de lumière illuminait des bouquets de fleurs accrochés aux extrémités des bancs. Dans un coin sombre, une statue levait la tête ainsi que ses mains vers la voûte creusée dans le rocher ; elle la considéra en silence, il régnait à cet endroit-là une sorte de calme rempli de douceur, une sorte de cocon habité par une pensée de paix et de communion.
En bas du village, elle chemina vers un lavoir et vit sortir de l’eau d’un mur de pierre, une source sans doute dont le flux se perdait en chemin. Et c’est au « Mas de l’étoile », qu’elle fut prise d’émerveillement ; elle contempla les hauts arbres, les habitats troglodytes et les rochers imposants aux étranges formes. Elle prit place sur un banc de pierre pour admirer un grand bassin dont le fond en céramique représentait une gigantesque étoile. Cette représentation bleutée frémissait sous l’effet mouvant de l’onde ; elle jouait au soleil et provoquait un effet hypnotique.
Hermance sortit Alzaïr de son sac et resta en contemplation ; certes, la pierre sculptée n’était plus dans son emballage d’origine, mais quelque part, très loin, Aldébaran, « le suiveur », marquait les étapes, comme relié magiquement à sa mystérieuse promenade. Les évènements pouvaient se succéder et prendre sens sous le doigt de la providence. Avait-elle trouvé son « étoile royale » ?