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 L’Homme-Santon

Homme santon

  Une barre rosée sillonnait le ciel au ras de la terre, une terre blanche de givre. Des peupliers noirs bordaient la rivière grise, figée entre ses rives constellées.

  Des pas sonnaient sur le chemin dur, un militaire frottait ses mains gelées rouges et gonflées tout en marchant d’un bon pas cadencé vers une lumière qui sortait du fond d’une déclinaison de terrain.

  En ce petit matin, il faisait clair mais les maisons vivaient sur les dernières flottaisons obscures de la nuit. Il arriva devant une habitation, s’approcha de la fenêtre par laquelle il put apercevoir un sapin et une crèche. Il perçut un bruit continu comme quelque chose qui tapait avec rythme ; en se penchant il vit une fillette qui sautait à la corde, son geste était mécanique, ses yeux fixaient le sapin presque sans le voir.

  L’homme prit alors conscience que c’était Noël.

  Il frappa à la porte et une dame vint lui ouvrir, laquelle resta clouée sur place à la vue de l’uniforme.

- C’est bien la ferme du tilleul ? demanda-t-il.

Elle montra du doigt un énorme arbre et esquissa un sourire, puis prononça un « oui » murmuré.

- Je suis Guy, j’étais un ami de Jean, reprit-il d’une voix cassée. Etes-vous Octarine ?

A ces mots, le regard de la femme se voila, puis sans une parole elle le fit entrer du geste et le fit asseoir. Elle resta un moment comme absente puis prépara du café et enfin demanda :

- Vous connaissiez Jean depuis longtemps ?

- Oui, depuis notre enfance, les ans ont passé mais son souvenir m’est toujours présent.

     La petite fille s’était arrêtée de sauter, puis voyant que la conversation reprenait, mue par le chuchotement des voix, elle était partie dans la pièce à côté et s’appliquait à bondir en étouffant ses retombées. Ils parlèrent longtemps, la fillette revint, l’homme la regarda, lui sourit puis regarda la crèche.

- C’est Noël aujourd’hui, n’est-ce pas ? remarqua-t-il.

- Mais oui, nous vous gardons à souper, répondit la mère.

- Merci… comment s’appelle votre petite fille ?

- Léontine.

     Il accepta l’offre sans se faire prier et ils passèrent la journée à préparer le repas, à décorer le salon ; ils riaient même. L’atmosphère s’était détendue et le nouvel ami semblait connaître ses deux interlocutrices depuis toujours. A la gêne des premiers moments succédait la bonne humeur et les aiguilles de l’horloge étaient prises de vitesse dans le cadran émaillé.

     Ils veillèrent, Guy sortit un harmonica de sa poche et se mit à jouer. Léontine avait laissé sa corde traîner par terre, et fatiguée, elle s’était assise sur le sol, absorbée ; des nuages semblaient passer sur son front et parfois lorsque l’homme levait ses yeux d’ombre et de lumière vers elle, ses lèvres tremblaient.

     Au moment de partir, Guy se leva en regardant longuement Octarine qui roulait nerveusement les plis de sa robe entre ses doigts.

- Au revoir mes amies, dit-il avec une certaine émotion, j’ai passé grâce à vous une merveilleuse journée.

- Puis, se dirigeant vers Léontine, il lui caressa la joue et lui tendit son harmonica.

- Voilà ton cadeau, te plaît-il ?

- Oh ! mais !... il est magnifique, mais je ne sais pas jouer.

- Tu apprendras, je te fais confiance, je reviendrai voir si tu fais des progrès.

 Quand la porte se fut refermée, la fillette regarda sa mère et lui dit :

- Moi, je crois que c’était un roi mage.

- C’est possible, répondit Octarine.

- Et toi, qui crois-tu qu’il était ?

- Un berger égaré cherchant la crèche, peut-être.

- Et penses-tu qu’il l’a trouvée ?

La mère sourit, d’un sourire que l’enfant ne lui avait encore jamais vu jusqu’à présent et elle l’entendit susurrer :

- Oui, je crois.

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