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 Laisse la porte contre

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De mon lit, je notai une lumière peu commune entrer dans la chambre, je regardai par la fenêtre et tout en contemplant les collines légèrement enveloppées de brume bleutée, je trouvai que la journée était idéale pour aller faire une longue marche en direction d’une vieille église qui hantait mes songes depuis longtemps.

Avant d'emprunter le chemin qui mène à la chapelle Saint-Jean, je passai à la maison du gardien qui se trouve en bas de la colline pour lui demander la clef.

Je tapai à la porte vitrée ; il vint m'ouvrir.                                                                      - Bonjour Azelie, dit-il en souriant.       

- Bonjour Guislain, comment vas-tu ?       

- Bien, que me vaut ta venue ?       

- Je viens chercher la clef de la petite église ; j'ai envie d'aller la visiter.

Il décrocha du mur une pièce d'orfèvrerie assez allongée, sombre et sans doute ancienne.

- Merci, lui dis-je, ravie de réaliser cette promenade qui occupait mon esprit depuis un certain temps.
- Tu pars à un bon moment de la journée ; il te faudra au moins deux heures de marche et une fois là-haut, tu pourras te reposer et manger un peu ; tu as pris de quoi ?                                 

- Oui, pas grand-chose (du pain, des fruits) mais cela ira.                    

- A côté, il y a un ermitage et une fontaine attenante au grand rocher. L’eau est très bonne, tu peux la boire. Tu apprécieras. A quel moment penses-tu redescendre afin que tu puisses me remettre le sésame.      

- En fin d'après-midi, vers 18 h.      — Je pense que je serai là, me répondit Guislain, mais au cas où tu ne me verrais pas, mets la clef dans le nichoir près de l'arbre.                                                                                             

- Très bien, à plus tard alors.   

- Ah ! Azelie, j'allais oublier quelque chose… En ressortant de la chapelle, laisse la porte contre.                    

- C'est entendu.

Et je lui fis un signe de la main en m'éloignant tout en tenant de l'autre la précieuse tige dentée. Je notai qu'elle était assez lourde et la mis dans mon sac.

Le chemin était assez caillouteux et montait de plus en plus ; bientôt il devint un sentier de terre entre de hauts buissons. L'ombre se faisait dense et le sol était humide. Puis ce fut à nouveau la clarté et ensuite un cheminement entre les rochers. Le paysage était assez varié à mon plus grand plaisir.

Et au détour d'une anse, ce fut la surprise ; elle apparaissait d'un coup cette chapelle, blanche, drue, surmontée d'un petit clocher à panneton.

J'avais hâte d'arriver, d'entrer dans ce sanctuaire si retiré et de m'asseoir à l'intérieur. En me trouvant devant le portail je cherchai la clef dans mon sac et quand je l'eus en main et que je l'approchai de la serrure, je constatai que la porte n'était pas fermée. Je fus surprise et poussai donc le ventail et entrai.

Il n'y avait qu'une nef sombre éclairée au-dessus de l'entrée par un œil de bœuf et aussi grâce à une petite fenêtre située dans le fond du chœur. Il régnait une odeur d'encens mêlée à celle de la bougie et du salpêtre ; quelques chaises paillées étaient bien rangées en attente d'un visiteur ; je m'assis tout en ayant soin de remettre le passe-partout dans mon sac.

"Curieux ! me dis-je à moi-même. Peut-être pensait-il que la porte était close !"

Je me mis à regarder autour de moi ; l'autel de pierre était couvert d'une nappe blanche brodée, assez usée et au centre trônait un gros bougeoir métallique.

Je cherchai des allumettes dans ma sacoche et allumai le cierge puis je fis le tour de l'édifice en me demandant qui pouvait bien prendre le temps de prier ici, d'autant plus que le battant était laissé entr'ouvert volontairement ; il devait bien y avoir une raison et quelqu'un devait venir et repartir dans le silence le plus complet.

Dans l'ombre, je vis sur la gauche un petit escalier qui semblait mener à une crypte, je pris le bougeoir et descendis les marches. L’obscurité était totale, peu à peu je distinguai des formes : notamment un socle sur lequel était érigée une vierge noire. Je l'examinai ; la statue était taillée dans le buis et je notai que son expression était douce. Des fleurs sauvages avaient été déposées sur la tablette et un léger parfum s’en dégageait.

A ses pieds, un cahier de prières duquel pendait un crayon tenu par une fine cordelette était ouvert ; je le pris et commençai à parcourir les lignes ; c'était des intentions, des souhaits, des remerciements... Les paragraphes étaient courts, parfois illisibles ; et soudain, au milieu, une phrase se détacha : "Merci de laisser la porte contre" ; c'était signé Vedastine.

Cette Vedastine venait donc ici se recueillir et c'était pour elle que par conséquent la portière était laissée dans cette position d'accueil, d'invitation discrète dans le sanctuaire.

A la suite j'écrivis : "Merci pour cet endroit secret si bien protégé."

Au bout d'un moment, je remontai, redéposai le bougeoir et respirai avec plaisir l'air doux qui régnait en ce lieu si bienveillant.

Je sortis et obéis à l’injonction qui m'avait été donnée : celle de laisser la porte contre ; et je pris la direction de l'ermitage pour me désaltérer à la fontaine, m’adosser au rocher, manger un peu et me reposer.

Il n'y avait pas de bruit, à part le bruissement de quelques insectes et d'oiseaux qui faisaient frémir les branches des hauts arbres. Une sorte de délimitation de pierres avait été dessinée sur le sol.

Le temps passa ; je ne vis personne, je me décidai à entrer dans la grotte ; l’air frais me saisit. Des bancs avaient été creusés dans la roche, on distinguait même un endroit pour faire du feu. Puis je perçus sur une paroi un ange peint, très grand bleu et blanc qui répandait toute sa protection.

"Est-ce que Vedastine vient ici aussi ?" me demandai-je ? Car le lieu pouvait servir d'abri pour les voyageurs ou pour les personnes prises dans la tourmente.

Une heure s'écoula dans ce cocon sombre où je m’assoupis un peu, puis je décidai de sortir et de reprendre le chemin de descente.

Les herbes dégageaient une odeur de menthe et de verveine et je respirai à plein poumons cet air vivifiant en sautant parfois au-dessus des pierres.

C'est ainsi que je  me trouvai rapidement en bas de la colline et me dirigeai vers la maison du gardien.

- Guislain ! Guislain ! criai-je.

Mais il n'y eut aucune manifestation ; alors j'allai vers le nichoir pour y glisser la clef, tel il me l'avait demandé.

"Mais comment se fait-il qu'il donne tant d'importance à remettre cet objet, qui en fin de compte ne sert à rien", me répétai-je.

Aussi, je revins le lendemain matin ; le maître des lieux était assis sur le banc de pierre sous la tonnelle et lisait un carnet.

- Bonjour Guislain ! est-ce que je te dérange ?                                                         

- Bonjour Azelie, non bien sûr... Est-ce que ta promenade hier à l'oratoire s'est bien passée ?  

- Oui, l'endroit m'a beaucoup plu ; la sérénité y règne. On se sent en paix. C’est un lieu privilégié.                                                                          

- Je suis content que tu aies apprécié.                                                                      

- Mais j'ai une question à te poser, si tu veux bien.  

- Je t'écoute curieuse promeneuse ! dit-il sur un ton amusé.               

- Pourquoi tiens-tu à remettre une clef qui n'ouvre rien et ne ferme rien ? Puisqu'en fait, le temple reste à la disposition du promeneur ; il me semble.

- Ah ! oui ... mais vois-tu, je suis en train de lire le dernier cahier de prières. Tu as peut-être vu que les pèlerins y inscrivent leurs doléances, et si je peux faire quelque chose pour eux, je le fais.
- Oui, j'ai vu celui qui est dans la crypte là-haut.                                       

- Alors si tu l’as parcouru, tu auras sans doute remarqué qu'une femme s'y rend parfois, à des heures peu communes ; elle vient prier sans que personne ne le sache.

- Vedastine ?                                                               

- C'est elle ; elle habite dans un mas dans les hauteurs, elle n'aurait pas la possibilité de venir chercher la clef aussi bas, de monter au sanctuaire, de redescendre afin de me la remettre pour repartir à nouveau si loin.   

- Je comprends... mais alors, pourquoi recommander aux habitants de la vallée de venir chercher la fameuse clef quand ils vont à l'édifice ?    

- Parce que c'est un rituel ; il s'agit de donner de l'importance à ce que l'on va faire. Il faut  que les personnes se rendent compte qu'elles vont entrer dans un endroit sacré et que le lieu doit être respecté.

- Bien sûr.

- Si tout le monde pensait que la porte reste toujours ouverte, les visiteurs iraient plus ou moins en touristes et ne se rendraient plus compte que le lieu est particulier.

- C'est fort possible...

- Et puis, il y a aussi la surprise ! Ils sont intrigués et poussent doucement la porte, de même qu'ils la retirent lentement jusqu'à ce que le montant touche l'encadrement ; et cela dans une attitude attentionnée. Ils quittent l'endroit presque comme s'ils marchaient sur la pointe des pieds ; n'est-ce pas !

- C'est tout-à-fait cela... merci pour la beauté de cet acte et pour tout ce qu'il comporte dans sa symbolique. 

- Tu vois, Azelie, je suis heureux quand je vois la réaction des personnes qui font la randonnée comme tu l'as faite.

- Guislain, est-ce que les gens de passage viennent aussi te demander pourquoi le lieu reste ouvert ?

- Pas tout le monde ; certains déposent le sésame et s'en vont avec le mystère qui parfois les habite longtemps. 

- Intéressant tout cela... mais je vais partir, et promis ; je reviendrai. 

- Azelie, quand tu reviendras, pense à prendre la clef.                                               - Je n'y manquerai pas... Au revoir cher Guislain... Puissions-nous, tous, laisser notre porte contre !

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