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Initiée dans l’Ile des Dieux

 A Aïda, dans le partage de cette aventure pleine de magie.

Et la terre de Bali apparut par le hublot…


C’était la fin de la saison des pluies à Bali. L’avion se posa, ma fille Aïda et moi descendîmes ; nous étions sur la terre rêvée depuis des années.


Et se succédèrent les méandres d’écriteaux portés à bout de bras entre lesquels de gigantesques feuilles de plantes tropicales surgissaient. Mais où se cachait celui du chauffeur ?


Une fois repéré, ce fut alors la traversée de la ville et l’émerveillement devant les gigantesques statues de dieux et de déesses surmontant les rondpoints, les jardins, les coins de rue, les entrées des maisons… et le chauffeur nous spécifiait les noms à chaque fois, par exemple : la bataille du Mahabharata surgissant dans un magnifique déploiement aérien ; soit une envolée de chevaux tirant un chariot dans sa magnificence.


Tournoiement des dieux et déesses de pierre vers tous les points cardinaux…


Le conducteur nous laissa à l’entrée d’un hôtel dont les chambres se répartissaient de chaque côté d’un vaste jardin agrémenté de bassins, de statues de déités sur lesquelles les hôtes déposaient des fleurs en passant.


Les offrandes parsemaient le sol, les étagères, les recoins. Elles étaient confectionnées à la main à partir de feuilles de palmier sur lesquelles des fleurs, chacune liée à des parties du corps, étaient déposées. A cela des sucreries étaient ajoutées ainsi que de l’encens.


Et le vert du monde d’en bas se liait au jaune du monde d’en haut, permettant à tous les éléments de s’interpénétrer...


L’offrande appelée chana, représente un chemin d’amour vers Dieu ; elle permet à chaque personne d’être connectée à Lui dans un invisible miroir.


Et les Dieux aux postures figées, arboraient un sourire flottant hors du temps…


A deux pas s’ouvrait la perspective de la mer à peine agitée de vagues, calme, d’où effleuraient dans le lointain d’obscurs rochers.


Mon ressenti était celui que l’on éprouve lorsque l’on évoque traditionnellement ce qui est zen ; je voyais un tableau idyllique dans lequel des pirogues à balanciers se mouvaient, faisant penser à de gigantesques araignées.


Le regard posé sur l’infini, l’atmosphère se distendait, laissant place à une autre perception dans un parfum doux de terre, de sel, de fruits, d’arbre, de mousse, que venaient animer d’un coup les passages des écureuils ou les vols des toucans habitués à la présence des hommes.


Et régnait une énergie de lumière…


A l’entrée de la zone hôtelière, un énorme banian, ceinturé de jaune, gardait le chemin. Il abritait les esprits qui semblaient être plus présents au soir, peut-être parce que l’obscurité favorisait cette impression de mystère. Ainsi, ne pouvait-on s’empêcher de l’invoquer, d’autant plus que son aspect imposant et ses formes effilées en superposition, inclinaient au respect.


Se manifestait dans le jardin intérieur bordé des deux côtés par des escaliers, une sorte de magnificence, de luxuriance ; en effet la végétation grouillait de vie dans un déploiement d’arbres et de couleurs.


Et les espaces comme les règnes s’entremêlaient dans un fluide rayonnement...


La recherche d’un lieu pour se restaurer se faisait en se promenant ; toute quête prenait corps dans une sorte d’abandon, car tout venait à point nommé.


Et dans l’obscurité, clignotaient des flammèches…


Ainsi, la nuit, dans une rue très active, on pouvait trouver en alternance : un point de massage, un poste pour changer de l’argent, de quoi manger, une boutique pour s’habiller ou un lieu préservé pour prier.

Et nous marchions avec précaution afin d’éviter les offrandes placées à même le sol, posées là dans le but de satisfaire les esprits des différents mondes. Une autre façon de considérer l’interpénétration des choses de la vie.


Aussi le recueillement, les sourires, la danse prenaient place de façon impromptue de chaque côté du passage intempestif des motos.


Et combien était délicieuse l’eau citronnée au miel ! Un nectar dans le tumulte de la rue...


Les jours suivants, nous quittâmes l’agitation de la ville pour gagner les rizières des montagnes. Nous pénétrâmes dans une végétation verdoyante et dense où l’eau était presque palpable.


Par ailleurs, la traversée des villages était pleine de surprises en découvrant les pagodes et les pavillons qui se juxtaposaient aux maisons, présentant une architecture travaillée, bordée d’une étonnante statuaire.


Et le sentiment du sacré se manifesta…


Temples aux marches sombres entourés de hauts pilastres, parasols vertigineux balançant au vent leurs majestueuses courbes ciselées. Fleurs dans les paniers présentés par des femmes à la tenue soignée, portant le kebaya blanc sur le sarong coloré et ceinturées d’une longue et fine étoffe chatoyante.


Visuellement se notait une sorte de rythme où chaque membre de la famille avait sa place respective.


Quant aux hommes, ils portaient une sorte de pagne autour de la taille qu’ils retenaient par une ceinture de forme triangulaire. Coiffés d’un turban, ils surveillaient paisiblement le sanctuaire et nous saluaient au passage. Nous répondions à cette bienveillance par un sourire, émerveillées à la fois par cette beauté esthétique des monuments, entretenue avec rigueur et souplesse à la fois.


Dans le village, certaines statues vénérées par les bouddhistes étaient ceintes de tissus quadrillés noirs et blancs, symbolisant le tao, tandis que celles entourées d’un ornement jaune, représentaient la croyance hindouiste, Shiva étant vénéré par la couleur solaire jaune ou par le blanc.


Les terrasses se succédaient, la montagne apparaissait très haute, couverte d’une végétation exubérante… Nous arrivâmes enfin au lieu de retraite tant attendu.


Et le prêtre, debout dans l’espace d’accueil, était toute présence…


Ainsi le maître des lieux, vêtu de blanc, nous attendait. Il s’appelait Made, (nom très courant à Bali, de telle sorte que l’on était obligé d’ajouter la fonction pour ne pas avoir d’équivoque).

Made est Pemangku, c’est-à-dire prêtre des temples hindouistes, gardien, chef des rites et de la liturgie, il détient également la connaissance des textes anciens. Et en plus de cela, il est le fils de guérisseurs depuis cinq générations.


Nous étions quatre à venir à cette retraite spirituelle ; il nous serra la main, nous regardant avec beaucoup d’attention, de curiosité même. L’acuité de son regard et son sourire bienveillant faisaient que je me sentais petite devant quelqu’un qui savait beaucoup. Ses yeux pétillaient et me faisaient penser à des bulles d’air sur une source.


Et ce fut le premier rituel…


Il nous invita à le suivre au point de purification situé près de l’entrée, protégé par un repli de végétation. C’était un simple autel avec une enceinte. Nous étions debout à le suivre des yeux, lui seul pouvait entrer et nous écoutions les mantras en suivant ses gestes avec respect. Il nous bénit, nous aspergea d’eau, en versa dans le creux de nos mains pour la boire, nous posa des grains de riz sur le front et nous remit des fleurs.


Maintenant que la bénédiction et la purification étaient faites, nous avions la permission d’entrer dans la propriété.


Et la sage parole se fit entendre…


Car l’enseignement commença là : avoir la conscience de tous nos sens et rester dans l’équilibre. Mais sa façon d’expliquer était tellement nouvelle pour nous, car pleine de gaieté, de joie de vivre, d’émerveillement devant tout. Je ressentais l’énergie d’une cure de jouvence, tout en ne perdant pas de vue le fait de veiller à rester dans l’harmonie à tout moment.


Et douce était la lumière des chambres…


Les bungalows étaient disposés à flanc de terrasse, ils étaient spacieux, chacun comportait deux lits abrités d’une moustiquaire et bénéficiait d’une spacieuse salle d’eau attenante. Je la partageais avec Aïda et nous nous exclamions de plaisir devant cette simplicité très esthétique. Au-dessus de nous, la charpente était visible, très haute, pour permettre une agréable ventilation.


Durant ce voyage spirituel, nous était donné de savoir « le rien », car aussi surprenant que cela puisse paraître, le maître nous enseigna que : « lorsque l’on sait le rien, on sait tout ».

Ou bien : « Enlever la peur pour être libre » et « Ecouter avec son cœur ».


Et les esplanades se versaient l’une dans l’autre…


A partir des chambres, la vue s’étendait très loin ; le paysage montrait une quantité impressionnante de palmiers et de cocotiers dressés vers le ciel. En les contemplant, je ressentais une profonde sérénité.


La descente vers le fond du vallon se faisait par une sente en pente douce et nous passions d’un niveau à l’autre au milieu de la végétation, ceci dans un circuit de promenade, agréable et apaisant.


Tout en bas, vers le ruisseau que l’on entendait clapoter dans le vide, se trouvait une immense vasque peu profonde, décorée de chaque côté par les esprits de la nature, un espace serein qui parlait à l’âme, une ornementation qu’il fallait mériter, car elle n’était pas visible d’en haut, mais juste lorsque l’on arrivait en bas, créant un effet de surprise assez magique.


Et régnait le monde des esprits…


En cette terre, outre les offrandes qui régulaient les échanges entre les entités, en veillant à ce que tout se passât au mieux dans une atmosphère paisible, les statues taillées dans la pierre volcanique, semblaient elles-mêmes être pourvues d’un habitant intérieur. Leurs expressions passaient du sourire bienveillant à des moues terrifiantes de dragons ou de démons aux yeux exorbités, tirant la langue, invitant à s’éloigner comme à repousser les mauvais esprits.


Tout était habité car tout possédait une âme.


Et la cérémonie au temple fut annoncée…


Le pura ou temple auquel nous allions nous rendre, était dédié aux dieux et aux ancêtres, il était construit selon l’axe montagne-mer et se trouvait en amont du village.


Pour nous y rendre, nous nous sommes habillées avec soin, en revêtant la tenue réglementaire si seyante et Made nous fit part avant que nous partions, qu’il avait une prière à faire et que de ce fait, il allait nous rejoindre.


La montée dans le village nous permit d’observer quelques maisons, des escaliers divers menant à des autels, d’étroits passages accédant aux demeures. Sur le chemin, nous croisâmes quelques personnes qui ne semblaient pas surprises de nous voir, tandis qu’un chien paraissait vouloir nous suivre.


Et arrivées au temple, nous eûmes la surprise d’y voir déjà Made accompagné d’autres officiants. Comment avait-il fait pour être déjà là !


Et l’entrée dans le lieu sacré nous fut offerte...


Le prêtre nous introduisit dans l’enceinte et nous découvrîmes au fur et à mesure les multiples pagodes bordées par les statues des dieux et des gardiens. Les diverses cours (reflets de l’univers) attiraient mon regard, mais je sentais bien qu’il était hors de question d’aller les découvrir, une sorte de retenue due au sentiment de sacré m’immobilisait. Nous ne parlions pas, nous étions dans le recueillement.


Assise sur le sol, je fermai les yeux et vis toutes sortes de grands visages, une énergie très particulière s’imprimait en moi, elle vivait au cœur du lieu dense, habité de hautes fréquences et d’autres âmes. Je la sentais s’épandre et restais dans la contemplation.


Offrandes de fleurs, parfums de l’encens, musique jouée au gambang, paroles psalmodiées, tintements de la cloche de l’officiant. Tout n’était que communion dans l’hommage au divin, silence des pensées et ouverture du cœur.


Et j’eus la conscience intime que l’environnement me regardait et savait...


Le célébrant nous aspergea, chacune notre tour d’eau lustrale, apposa des grains de riz entre les sourcils et sur la gorge, puis lia un diadème autour du front, élaboré de tiges vertes, d’un cône en bambou, de fleurs de frangipanier, de gardenia et de pétales rouges d’adenium.


Il noua ensuite au poignet droit de chacune le bracelet Tridatu qui a le pouvoir du talisman ; constitué de trois fils de coton : un rouge, un noir et un blanc enroulés l’un autour de l’autre, il représente les trois principaux dieux hindouistes.


 Et une autre bénédiction achevant le tout fut donnée par une pluie de pétales…


Tout était parfaitement ordonnancé, rythmé en musique et en mantras. Au parfum d’encens et de fleurs, s’ajoutait le goût de l’eau lustrale ; nous étions reconnues des dieux et ceux-ci nous parvenaient à partir de leur dimension, en descendant vers la nôtre. Nous étions bénies et sereines car le rite s’accomplissait dans sa perfection.


Et la légèreté caressée de sourires et de gratitude nous illuminait…


Quelque part, dans une autre profondeur, planait le sourire de Bouddha si important pour Made. N’avait-il pas insisté auprès de nous, disant que c’était cette expression qui prédominait le plus dans ce dieu.


La cérémonie achevée, il était temps de redescendre. Nous nous mîmes en route, empruntant le même chemin, paisibles, heureuses, laissant le prêtre au temple car il devait ranger les attributs du rituel.


Quelle ne fut pas notre stupéfaction en entrant dans la propriété, de le voir assis, nous attendant en souriant, une joue appuyée dans sa paume de main, réjoui de l’effet qu’il produisait sur nous.


Et un pouvoir s’ajoutait à un autre pouvoir ; celui de la téléportation…


Un pont hors du temps qui relie le passé et le futur en une fraction de seconde. Une faculté intrigante, très peu connue, qui me rappela l’aventure du glotte-trotteur Deïmian, qui se rendant en Asie, demanda le chemin à un homme dans la campagne, car il désirait se rendre à un lieu spécifique. Le voyageur prit le chemin indiqué : une pente ardue qu’il monta à vélo. Et arrivé au somment, quelle ne fut pas son ahurissement et incompréhension en voyant devant lui l’individu à qui il avait parlé quelques minutes auparavant !


Et la nuit tomba sur le domaine englobant d’autres événements…


Je descendais avec Aïda le sentier qui mène au lieu de restauration lorsqu’elle me dit qu’elle remontait chercher le produit anti-moustique. Elle m’indiqua qu’il fallait tourner à droite, mais je ne sais pas pourquoi, je fus attirée à gauche d’une façon que je ne contrôlais pas. Il y avait quelques marches situées dans un angle et mon pied droit, emporté par l’élan de la descente, s’enfonça sur une plante qui se trouvait au bord du chemin. Je perdis l’équilibre tout en me disant que j’allais tomber dans les herbes et me relever.


Mais il en fut tout autrement, une fois allongée sur l’ornement végétal, je me rendis compte que le tout basculait, je m’accrochai aux tiges, celles-ci cédèrent et je tombai dans le vide, le dos frôlant toute la hauteur du mur de terre, j’hurlai de douleur tout en me demandant durant cette fraction de seconde jusqu’où j’allais tomber ! Je n’étais que peur et me fracassai sur le sol en ayant très mal. J’étais dans le noir, au pied d’une cabane, je continuais de crier, un cri qui devenait une plainte et je notais que l’on ne m’entendait pas. Un sentiment de solitude immense me prit, un désarroi m’envahit, j’attendais le secours…


Et il vint peu de temps après car j’entendis Aïda me demander :

—    C’est toi maman ?

—    Oui, dis-je faiblement.

—    Oh non ! cria-t-elle.


Elle arriva en courant accompagnée de l’homme du personnel qui me dira plus tard avoir entendu des vagissements de bébé et qu’il ne savait pas d’où cela venait. Il me redressa d’un coup et Aïda me prit dans ses bras en lui demandant d’aller chercher Made.


Le prêtre, ce soir-là, avait décidé de rentrer voir sa famille et notre ami le trouva sur sa moto, prêt à partir ! Une question de seconde…


Et le temps ce soir-là, ne nous appartenait plus…


Il vint de suite et les deux hommes me portèrent sur une table de massage non loin et éclairée. Allongée, je me sentais soulagée d’être prise en charge et réconfortée parce que Made était présent. Il y avait plusieurs personnes autour de moi et je ne voyais que la lumière dorée.


Chacun essayait de défaire le nœud du sarong qui s’était resserré à cause de la traction de la chute et ce ne fut pas simple de le dénouer. J’avais du sang à la jambe, aussi voyant mon état, Made dit sérieusement :

—    Kathy, il va falloir t’emmener à l’hôpital.


L’image d’être seule, perdue dans un hôpital de l’île me fit sursauter, je me relevai d’un coup sur mon séant en affirmant catégoriquement : « Non ». Car dans mon ressenti général, je ne me sentais pas en danger.


Alors, Made me demanda si j’étais capable de me lever, et je le fis avec son aide et celui du personnel. Oui, je pouvais me tenir debout !

—    Est-ce que tu peux marcher ?  interrogea-t-il.

Je me mis à faire des pas tandis qu’il se déplaçait à reculons en me soutenant le bout des doigts. Mais j’avais mal à la cheville gauche qui s’était tordue, il fit un geste près de mon pied en lançant :

—    Et maintenant ? 

J’avais toujours mal, une entorse sans doute. Il tourna autour de moi, refit un geste au même niveau comme s’il retirait d’un coup quelque chose.

—    Et là ? 

Je n’avais plus mal.


Made désirait que j’aille dans ma chambre, mais je voulais aller manger puisque c’était l’heure du repas.

—    Tu veux aller manger ? me demanda-t-il étonné.

Je répondis par l’affirmative et ils me soutinrent jusqu’au restaurant non loin où je m’assis, la jambe gauche tendue posée sur une chaise. Un homme du personnel mit du jus d’aloe vera sur la plaie et Aïda lui conseilla de mettre également de la glace, ainsi qu’à la cheville, ce qu’il fit et cela me soulagea.


Comme Made était debout à côté de moi, je le sollicitai :

—    J’ai entendu dire que lors d’un choc, il est bon d’envoyer de l’énergie dans le plexus solaire. Est-ce que tu peux m’en envoyer ?

—    Oui, répondit-il.

Il y eut un petit temps d’attente, puis je ressentis une grande vague qui circulait dans tout mon tronc, détendant tout le dos, me faisant énormément de bien. Puis, ayant les yeux fermés, je vis une forme apparaître.

—    Oh ! je vois un visage, je vois la tête de Bouddha ! Il me sourit, m’exclamai-je

—    Souris-lui, me répondit-il.

Ce fut un instant intense de bien-être, d’amour, tout mon corps était parcouru d’une énergie bénéfique de guérison.


Et la question revint sans cesse comme dans un tournoiement…


—    Pourquoi suis-je tombée ?

—    Tu es tombée pour mieux monter, répondait-il.


Il était évident qu’avoir dévié du chemin de façon injustifiée, ne s’expliquait pas. Je portais encore la tenue de rigueur dans les temples, et j’en venais à me dire que cet incident, qui aurait pu être dramatique, avait été voulu dans les plans supérieurs, et que j’avais malgré tout été protégée. Avais-je tout bien fait lors de la cérémonie ? Les dieux étaient-ils satisfaits ? La logique laissait penser que oui, de telle sorte que je n’avais pas à me culpabiliser.


Et s’il s’agissait d’une initiation improvisée dans l’Invisible, en lien avec le lieu et le contexte ?...


Puis me vinrent à l’esprit les séjours des dieux ou déesses dans l’infra terre pour ensuite s’élever dans la clarté. Car une loi dit que « pour monter dans la lumière, l’homme doit descendre dans les ténèbres ».

Jonas a séjourné dans le ventre de la baleine avant de resurgir au dehors, Perséphone est restée dans l’antre de la terre avant de revenir à la surface, le sol se déroba sous le pied d’Eurydice et Orphée descendit aux enfers pour la rechercher, tout en se transcendant.


Par ailleurs sainte Sara qui demeure dans la crypte aux Saintes-Maries-de-la-Mer, est portée à l’extérieur de l’église lors du pèlerinage et menée jusque dans la mer, faisant aussi penser à la sortie au jour des anciens Égyptiens…


Par ces mythes et cette symbolique très forte, je tentais de donner un sens à ma perturbante expérience.

Car les vécus de simulacre d’enterrements des chamans pour renaître ensuite, les expériences chantées faisant référence à « La nuit obscure » de Saint Jean-de-la-Croix ou même l’explication du temps passé par le Christ dans le tombeau avant de ressusciter, m’interpellaient.


Et s’apaisa la tumultueuse journée...


On me ramena à ma chambre, haletante et bien soutenue. Alors je m’allongeai en sécurité pour passer une nuit dans laquelle tout ce qui venait de se passer se mélangeait.

Dans l’espace nocturne, nous entendions les cris des geckos, et nous avions pris l’habitude de compter le nombre de vocalises assez stridentes qu’ils émettaient en y cherchant des significations. Les sons que j’entendis cette nuit-là, me paraissaient amis.


Aïda fit l’infirmière (massages et autres) et devint même garde du corps lorsque Made le lui demandait quand je voulais m’absenter de sa vue.


Pour en finir avec cet incident, le prêtre s’arrêta sur le chemin qui menait au restaurant, exécuta un geste incompréhensible et déclara par cette sorte de conjuration que je ne tomberai plus.


Et un mystère succédait à un autre mystère dans les attitudes énigmatiques de Made…


Une autre cérémonie plus importante était prévue quelques jours plus tard et nous devions donc nous préparer et apprendre à confectionner des offrandes. Nous fîmes de petits paniers coupés dans des feuilles de palmier et y déposâmes des fleurs de frangipanier, d’adenium, des sucreries, des morceaux de gâteaux ; c’était une réjouissance pour les yeux de par leurs couleurs vives, et certes ils étaient habités de gaieté.


Et l’enthousiasme nous porta vers de nouvelles expériences…


Pour aller à la Fontaine sacrée de Tirta Empul, nous avions lié le sarong blanc derrière la nuque, une nouvelle technique à connaître... Ainsi prêtes, nous montâmes dans la voiture avec Made et ses aides, pour parcourir les luxuriantes forêts et découvrir les étages des rizières s’étendant à perte de vue.


Et les forêts, les rivières et les vallées s’ouvraient largement vers le large ciel argenté...


A l’entrée du site sacré trônait un énorme banian, ceinturé comme c’est la coutume. Le célébrant nous convia à nous asseoir devant l’autel sur lequel il déposa nos offrandes ; l’encens brûlait à côté de nous, et attentives, nous portions les pétales de fleurs au-dessus de nos têtes dans un immense respect.


Nous suivîmes Made dans les trois bassins, chacun correspondant à un niveau de l’être. Il dénoua ses cheveux et les répandit en cape  sur ses épaules, comme si l’ondoiement de la chevelure se propageait jusqu’à l’onde. L’eau était froide et pure ; ses propriétés étant nombreuses, elle permettrait la régénération.


Le fond des pièces d’eau était couvert de cailloux glissants, aussi l’accompagnateur de Made me dirigea dans le cheminement par étapes en me tenant le bras. A chaque pose devant les bouches en gargouille jetant une masse d’eau, il m’invitait à chanter le mantra « Om Nama Shivaya ». Alors la motivation entrait en moi, pour offrir ma tête, puis mon dos, au flot vivifiant, venant de la haute source de la montagne.


Et l’eau lustrale, bénéfique, lumineuse, me submergeait, portant tous les bienfaits de sa constitution,  force liquide habitée de l’esprit des lieux…


Cascade d’eau après cascade d’eau, j’évoluais dans ce tournoiement, perdant les repères et emplie de plus en plus d’un sentiment de grandeur, de hauteur, de pureté, de force, quelque chose d’originel.


Une fois sortie des bassins, je me dirigeai aux vestiaires pour me changer et le silence entra en moi. Je n’avais plus envie de parler, je vivais dans l’expression du sacré.


A l’extérieur, Aïda alla rendre hommage au majestueux banian et je m’assis sur les marches du site, loin des groupes, afin de rester dans le recueillement, dans l’intériorisation et en même temps l’ouverture, car j’avais devant moi la perspective d’une longue allée d’arbres se prolongeant à l’infini.


Je suis restée là, comme hors du temps, dans une sorte d’expansion de mon corps, de mon âme, de ma vue, de l’ouïe, de tous les sens, frôlant la limite d’un autre plan.


Et les lignes de l’eau et de l’allée se perdaient à l’infini, s’unissant quelque part…


Puis nous nous sommes dirigées vers la voiture, je ressentais comme une illumination intérieure, et en me regardant, Made suggéra que j’avais été prêtresse dans le passé. Je baignais dans une sorte de béatitude et de gratitude, inondée d’une sorte de grâce.


Et le groupe est revenu en chantant et en riant aussi. Mais la consigne était donnée : une fois arrivées dans le domaine, nous devions rester dans le mutisme jusqu’en fin d’après-midi. Cela ne me dérangea pas puisque mon mode de vie fait que je parle peu et que cette mesure est en harmonie avec mon être profond.


Après avoir franchi la porte du domaine, chacune est allée se restaurer en se taisant ; une assiette avait été posée préalablement sur des tables séparées ; ne restait plus qu’à se laisser aller au gré de nos envies.

En face de moi, j’observai dans le creux du vallon un immense eucalyptus, ses branches aériennes ployaient et je restais surprise, car elles ne suivaient pas la force du vent, mais montaient et s’inclinaient de façon indépendante comme si un gigantesque esprit de la nature se manifestait, en effet les ramures se mouvaient d’un côté et de l’autre comme le ferait un danseur.


Et le silence fut le dieu du moment, couvrant les pensées et les actes…


Je descendis la sente jusqu’à la vasque, montai dedans, juste pour faire un bain de pieds, écouter les oiseaux, regarder les insectes et jouer avec l’onde recouverte de vase par endroits ; tout était calme, serein, léger, lumineux.


Et une unité se créait au travers des différentes strates par d’invisibles volutes…


Une fois, remontée à ma chambre et assise dans la chaise en bois en forme de balancelle, je regardais le soleil jouer dans les branchages. Made vint me dire en tapant les paumes de ses mains dans les miennes, que le temps voué au silence était terminé, que l’on pouvait maintenant échanger et nous réunir.


Le soir, il y eut un petit repas sur une table nappée, mais avant, nous jetâmes au feu des papiers sur lesquels nous avions écrit ce que nous ne voulions plus dans nos vies et aussi les points positifs que nous désirions fortement.


Et les étincelles jaillirent dans le noir et tout partit en brasillement et en fumée dans les autres plans…


Et arriva une danseuse, fluide, gaie, harmonieuse, toute de grâce. Jeux des doigts, du regard, et en même temps jeu de toutes les dimensions de la vie et de son interprétation. Elle était l’art de la gestuelle transcendé.


Et la fin du séjour arriva comme passe le dernier oiseau d’une migration...


Avant de quitter le domaine, Made s’entretint avec chacune d’entre nous. Nous pouvions lui poser des questions auxquelles il répondrait selon sa façon de voir ou par canalisation.

J’entrai dans la salle, m’assis en face de lui ; c’était assez solennel, il était habillé de blanc, de l’encens brûlait à côté de nous. Dans le fond de la salle à droite, une ancienne statue de Ganesha parée d’un tissu jaune, trônait. Une douce musique donnait une ambiance zen, interrompue de temps à autre par le chant d’un coq.


—    Quelle est ta question ? demanda-t-il.

—    Comment peut-on percevoir l’invisible ?

—   Chaque chose a son moment… Je suis parti durant cinq jours, et là-bas, cela ne dura que quatre secondes.

Ce qu’il me disait me semblait très abstrait. En fait, je ne comprenais pas ce qu’il tentait de m’expliquer. Et d’un seul coup, sur son côté droit, je vis son aura très nettement. Du jaune entouré d’un vert très doux des deux côtés. Je restai dans l’admiration mais ne lui fis pas part de ma remarque.

—    Avoir son moment précieux, continuait-il, le visible rencontre l’invisible quand je ne me pose plus la question.

Je me levai et répondis.

—    Comme lorsque je suis tombée ? remarquai-je.

—    Oui, dit-il en riant fortement comme il avait l’habitude de le faire, et il me donna l’accolade.


Nous rejoignîmes le groupe, et dans la conversation, il glissa le mot « aura ». Alors, sur le fait, je lui signifiai que j’avais vu la sienne.

—    Et de quelque couleur est-elle ?

—    Jaune, mais je n’eus pas le temps de rajouter le vert.

—    Jaune ! et il se mit à rire comme un enfant tout heureux.


Certes, il y avait là, la couleur de Shiva, de la lumière et de la guérison. J’appréciais la pédagogie de Made, sa façon d’expliquer qu’il rendit volontairement complexe tout en donnant une démonstration visuelle implacable. Il prononça ensuite le mot clef « aura » de façon aléatoire afin de voir si j’allais réagir ! Que de finesse !


Et ce fut le dernier repas pendant lequel il sortit des blagues pour nous faire rire, afin que notre départ devienne léger. En même temps, il s’adressa à Aïda personnellement, toujours dans l’amusement et le détachement, mais en lui envoyant une énergie adaptée et forte. Je vis même le visage de ma fille changer ; j’en étais impressionnée.


Nous nous dirigeâmes vers la voiture qui nous attendait et il courut chercher des libellules en bambou qu’il avait confectionnées, pour en donner une à chacune. Animal totem à Bali, cet insecte commence à voler lorsque le soleil donne de la chaleur à leurs ailes. Elle représente la transformation mais aussi l’attitude particulière de prendre avec légèreté les moments difficiles de la vie, car rien en fait n’est semblable aux apparences.


Et la voiture nous emmena, retraversant les somptueux paysages mais j’avais quelque chose de plus au cœur...


Quand je regarde les quelques statuettes ramenées, les jolis bijoux, les vêtements qui peuvent me servir d’ornement, je contemple la libellule et la couronne d’herbes et de fleurs tombée lors de ma chute et ramenée par Aïda ; où se situe la réalité, où commence l’apparence ?


Me vient l’image de Made faisant apparaître son aura. Il m’avait parlé de « son moment précieux » quand il était monté à la cime du volcan Semeru, là où le sommet de la terre et le début du ciel se touchaient. Alors le volcan était entré en éruption et il en avait pleuré de joie, me disant que Shiva se trouvait au sommet de la montagne sacrée, de ce fait il rendait grâce à Mahadeva.


Oui, dans la vie, il est important d’avoir « nos moments précieux », nous ressourcer et ressentir toute l’énergie qui nous alimente à nouveau ; il y eut avec Made de ces moments-là que je garde au fond de moi, ne cherchant plus à comprendre.

Ils furent, c’est tout, je m’en imprègne, m’en nourris, ils sont arrivés au moment où ils devaient arriver, mais ils illuminent intensément mon cheminement.


Et brasille la terre de Bali, éclaboussée d’eau et du rire de Made...




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