La campagne du Rajasthan
Au printemps 2012, j'ai eu l'occasion de séjourner plusieurs mois dans une Haveli pleine de charme ; c'était un ancien caravansérail situé dans le Rajasthan, possédant une structure très particulière, dont un jardin ombragé.
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Sur quelle demeure passe ce voile ? Quelle est cette étrange transparence qui irradie de toutes parts ? Ganesha en relève même sa trompe et hume les parfums des cours tandis que Rama et Sita effleurent les arches, et se perdent entre les colonnades alignées à l'infini.
Les plafonds sont des tapis en miroirs, parcourus de volutes de lumière que rejoignent les ciselures des parois et où les songes de verre se mêlent.
Et là où une porte dentelée s'entrouvre, apparaissent les plus troublants personnages ; l'un vibre dans ses poses et ses atours pour porter de fins lotus à l'autel sans âge.
Mais quel est ce chant que l'on perçoit, montant par réminiscences et dont les divers et envoûtants échos traversent intensément portières et siècles ?
C'est celui de l'âme qui peu à peu émane, an après an, vies après vies, du cœur de la Haveli.
J'y lisais et ramassais les fleurs de flamboyant, de jasmin et de bougainvillier pour les mettre dans les vasques.
Il y avait une quantité d'oiseaux de toutes sortes qui animaient les hauts arbres dont les branches effleuraient la fenêtre de ma chambre ; certains m'étaient inconnus et étranges. Je remarquai que chaque espèce venait à une heure précise du jour.
J'ai pu assister à la fête de Gangaur dédiée aux dames qui vont faire des offrandes au puits et qui revêtent pour l'occasion leurs plus beaux saris.
J'ai participé à la marche du Sage, monté sur son cheval, sillonnant les rues, accompagné par les femmes qui chantaient et scandaient des mantras avec enthousiasme.
Tout y est chatoyant ; la musique et la ferveur des membres accrochent et absorbent le passant pour l'inclure dans le cheminement collectif.
Et puis, il y avait l'extraordinaire marché... j'aimais en m'extrayant de son tumulte, m'arrêter devant le temple à Hanuman où le paon est royal et où les eaux dorment, afin de rester quelques temps dans cette atmosphère de calme suspendu
Puis, au hasard des rues, j'ai happé le regard d’une petite fille qui attendait quelqu’un par l’entrebâillement d'une porte.
J'ai aussi croisé maints petits ânes au harnachement soigné, tirant de petites charrettes et qui avaient quelque chose d'attendrissant.
Mais ce qui m'a le plus touchée dans cette région désertique du Rajasthan, c'est son immense et riche campagne, à partir du moment où l'on va plus vers l'intérieur des terres, vers les endroits où l'eau peut être puisée.
En marchant dans cette campagne, je suis passée devant un arbre sacré aux racines vigoureuses qui se multipliaient hors du sol, créant des entrelacs divers, tout en enserrant des jarres de terre cuite.
Et à partir de là, comme à partir d'un point béni, les terres se sont étendues encore plus, dans leur simplicité, leur verdure et leur authenticité.
L'air s'était allégé, il y avait même un souffle de vent et je passai tout-à-coup dans une autre énergie, un autre ressenti, vivifiant et serein.
J'y ai rencontré des personnes accueillantes, souriantes, comme en témoigne ce regard complice entre la mère et la fille essayant de réajuster le voile de la matriarche.
Les grand-mères m'apportèrent de l'eau et me montrèrent leurs magnifiques bracelets de cheville tout en riant avec moi.
L'aîné des enfants m'a invitée à venir à la rencontre du papayer femelle (on le reconnaît au sari dont on le pare) ; il en était très fier.
Puis sur le chemin, de retour des champs, l'attelage du dromadaire tirant le chariot chargé de personnes et de fruits me fit arrêter pour le laisser passer.
Je remarquai un jeune garçon à l'immense sourire qui conduisait une bufflonne, tout en baissant le regard avec une certaine complicité vers cette tête si imposante aux cornes massives dont il était le maître.
Alors une fillette vint me présenter sa chèvre noire et blanche, portant un ruban rouge d'où pendait un grelot et qu'elle tenait dans les bras avec tendresse.
Dans les champs, les femmes travaillent durement, entretiennent le foyer, font le pain, traient les animaux et portent de lourdes charges sur la tête.
Ce fut l'occasion pour le propriétaire de m'amener près du troupeau où l'un des buffles (le mâle a les cornes recourbées alors que les femelles les ont allongées) me regarda fixement ; sa masse noire tranchait sur l'environnement et sa présence en imposait.
Dans le champ que nous traversâmes, je découvris l'autel protecteur ; je ressentais un bien être, de la bienveillance, comme une marque sacrée dans un havre de paix.
En revenant vers les habitations, je vis un enfant qui se trouvait debout près d'un camion magnifiquement décoré et il me parut être à côté d'un gros jouet.
De retour en ville, après ces quelques jours passés dans les espaces verts et avoir partagé la convivialité de mes hôtes, ce fut en même temps l'arrivée de la mousson que tout le monde fêtait en se baignant dans les auges ou tout ce qu'il trouvait pour recueillir l'eau bienfaisante tant attendue.
ou en se douchant sous l'avancée des toits. Quelle joie partagée ! On en riait de plaisir : une vraie jubilation !
Avant mon départ pour Delhi, je fis une marche dans les rues et m'amusai avec quelques jeunes filles tribales qui cachaient leur visage en étouffant leurs rires
et je finis mon séjour en contemplant une dernière fois l’œuvre du marchand de bracelets. Je m'assis par terre, à deux doigts du foyer, le remerciant de son accueil et de l'instant échangé dans la légèreté.
Mais vers où dirigeait-il son regard dans le tourbillon des gens et des bêtes de la rue ? C'était vers une grande perruche verte, porte-bonheur, qui bientôt allait se poser sur sa tête.